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Vous pensiez que Vladimir Poutine, en assistant au service religieux de Noël, prenait part à un rituel qu’il partageait avec la plupart de ses concitoyens? Détrompez-vous.
Les chiffres de fréquentation des églises orthodoxes russes pendant le service religieux de Noël viennent de tomber: cette année, 1,4 million de personnes, soit moins de 1% de la population, ont assisté au service.
Le décalage entre la déclaration de religiosité et la pratique sont une constante en Russie. 72% des Russes se déclarent aujourd’hui orthodoxes. 18% se disent athées ou sans religion, 5% musulmans, 3% déclarent une autre obédience religieuse. 45% des Russes se disent religieux, 54% peu ou pas religieux. Parmi ceux des Russes qui se déclarent orthodoxes, un tiers considèrent que Dieu n’existe pas.
Au-delà des déclarations, la pratique religieuse, note le sociologue de la religion orthodoxe Nikolay Mitrokhin, reste constamment basse en Russie. Les services religieux des grandes fêtes (Pâques et Noël) attirent en moyenne 1 à 2% de la population. Le noyau des paroissiens constitue en moyenne 0,5% de la population en Russie, et jusqu’à 1% dans les régions les plus orthodoxes de la partie européenne du pays. Ceux-là pratiquent la confession, communient et assistent aux services liturgiques. Environ 2 à 4% des Russes selon les estimations de Mitrokhin sont paroissiens occasionnels, passant environ une fois par mois à l’église. Ce chiffre est plus élevé dans l’auto-déclaration par les Russes de leur pratique dans les enquêtes du centre Levada, mais même là le nombre de personnes passant au moins une fois par mois à l’église ne dépasse pas 12% de la population. Les nombreuses églises qui ont fleuri sur le territoire russe sont sans paroissiens, et souvent sans prêtre pour les faire vivre.
La déclaration de religiosité est davantage un marqueur identitaire pour les Russes orthodoxes qu’une affiliation et une pratique religieuse. Plus que les rituels établis, les Russes pratiquent une superstition religieuse: placer une icône sur le pare-brise de la voiture pour la protéger des accidents; faire un signe de croix en passant devant une église pour éloigner le mauvais œil; éviter d’écrire certains mots pour éloigner le diable; faire la queue pendant des heures pour toucher une relique exposée au public et bénéficier de son aura. Contrairement à ce que l’on peut penser, l’influence des autorités religieuses et des prêtres sur les opinions et les comportements des Russes est limitée. En revanche, cette population superstitieusement croyante est très perméables aux rumeurs, aux interdits informels, aux mouvements de panique qui peuvent revêtir un décorum orthodoxe. Les idées obscurantistes peuvent donc se propager rapidement, mais pas forcément transmises par les prêtres.
Un mystère entoure les chiffres de fréquentation des services religieux à Noël. Cette fréquentation a connu une baisse spectactulaire depuis 2020: alors qu’habituellement 2,3 à 2,6 millions de personnes assistaient à ce service, le chiffre a brutalement chuté à 1,3 – 1,4 million en en 2022, 2023 et 2024. Où est passé un million de paroissiens? Les deux facteurs explicatifs avancés ont un lien avec la pandémie de Covid-19. D’une part, on évoque une surmortalité importante chez les pratiquants, dans leur immense majorité hostiles à la vaccination: une partie des paroissiens, antivax, ne serait donc plus là. Cependant, la surmortalité générale due au Covid est estimée à 1 million, voire 1,2 million de personnes en Russie: tous ceux-là ne sont pas des paroissiens fidèles… Deuxième élément d’explication plausible, on évoque une crainte des rassemblements publics qui pousserait beaucoup de pratiquants à fuir les services pour éviter la contagion. Les églises se vident donc un peu plus aujourd’hui.
Je devrais peut-être retirer ce que j’ai dit au début de ce billet. Vladimir Poutine au milieu d’une église à moitié vide, de crainte d’être contaminé: voilà une image qui représente finalement assez bien le comportement religieux de la petite partie pratiquante de la population russe.