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Dans le gros bloc de lois signées hier par le président Poutine et rentrées donc en vigueur le 31 juillet 2023, il y a ce texte très important qui était dans les tuyaux depuis le mois de décembre 2022.
J’en avais parlé au moment de la première lecture.
La loi (1) prévoit de dépénaliser les crimes commis dans les territoires occupés par la Russie – république autoproclamée de Donetsk, république autoproclamée de Louhansk, territoires occupés des régions de Zaporijjia et de Kherson – à condition que ces crimes aient eu pour objectif la défense des intérêts de la Fédération de Russie ou des républiques autoproclamées.
Un acte dont la responsabilité est établie par les actes juridiques normatifs de l’Ukraine, s’il contient des éléments constitutifs d’une infraction au titre du code pénal de la Fédération de Russie, mais vise à protéger les intérêts de la Fédération de Russie, de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk ou les intérêts légalement protégés de citoyens ou d’organisations de la Fédération de Russie, de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Louhansk, de la population et d’organisations de la région de Zaporijjia, de Kherson, n’est ni criminel ni punissable. (Article 2, paragraphe 2 – traduction assistée par ordinateur)
Bien évidemment, les intérêts de la Fédération de Russie ne sont définis nulle part dans la loi, et seront donc interprétés selon la politique du moment.
Si les deux autres paragraphes du même article de loi distinguent un avant et un après le 30 septembre 2022, date à laquelle les territoires occupés ont été déclarés intégrés à la Fédération de Russie, le paragraphe 2 ne contient aucune date. La loi dépénalise donc tout meurtre, viol, violence, extorsion, vol etc. commis dans ces territoire avant septembre 2022. Mais on peut aussi se demander s’il ne dépénalise pas ceux commis depuis cette date, par exemple aujourd’hui, si les autorités décident qu’ils sont commis « dans l’intérêt de la Fédération de Russie ».
Le chemin relativement long suivi par ce projet de loi, stoppé après la première lecture, m’avait amenée à me demander si ce projet n’avait pas été jugé excessif par le pouvoir. Déterré sept mois plus tard, le projet de loi a pourtant été adopté en mode express en deuxième et troisième lecture, dans sa version maximaliste.
Cette loi s’inscrit dans une série de dispositions qui soumettent l’ordre juridique aux besoins de la guerre. Le recrutement des combattants dans les colonies pénitentiaires par Wagner, puis par le ministère de la Défense en était une facette très visible. Récemment, la loi du 24 juin 2023 (2) a consolidé cette pratique en permettant aux accusés ou condamnés pour des crimes légers ou moyens, d’être libérés de poursuites pénales en partant combattre dans l’opération militaire spéciale, ou plus exactement à leur retour du combat ou à l’occasion d’une décoration de guerre. En pratique, un détenu condamné pour un viol ou un meurtre passionnel, qualifiés en droit russe de crimes de gravité moyenne, peut désormais remplacer sa peine par un contrat avec l’armée, et en sortir blanchi s’il rentre vivant.
En assumant le risque de surinterpréter, j’analyse cette législation comme une transformation de plus du régime politique russe dans la guerre. Bien évidemment, l’exercice de la justice y était déjà, surtout dans certains domaines, soumis à l’impératif politique de la répression. Dans d’autres domaines, comme la criminalité commune, la justice continuait cependant à s’exercer, même avec beaucoup de problèmes. Désormais, on dépasse la simple justice répressive, en faisant des territoires annexés par la Russie des zones de non-droit où tout acte criminel est justifiable. Ce ne sera peut-être pas sans effet sur l’exercice de la violence ailleurs en Russie.
(1) Loi fédérale du 31.07.2023 N 395-FZ « Sur l’application des dispositions du Code pénal de la Fédération de Russie et du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie dans les territoires de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, de la région de Zaporizhzhya et de la région de Kherson »
(2) Loi fédérale du 24.06.2023 No. 270-FZ « Sur les particularités de la responsabilité pénale des personnes impliquées dans l’opération militaire spéciale ».
Robin a dit:
Donc, si je comprend bien, si tu veux dépouiller un passant, tu le tue après en disant qu’il avait des propos défaitistes et insultants envers Putin ?!
Tout va bien….
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Zolotoukhine a dit:
Merci pour vos textes toujours très précis et précieux
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Themis a dit:
Le message est simple. Il n’y a plus de crime punissable pour ceux qui portent l’uniforme russe.
Tous les civils, les prisonniers de guerre, seront des proies dont ils pourront disposer à loisir, comme dans les pires récits de guerre d’autres époques. De quoi motiver encore un peu les prédateurs qui s’ennuient en Russie.
Une nouvelle tranche de « population » russe va émerger et prospérer, sur les marches de leur empire, dont le seul impératif sera de respecter l’autorité suprême russe, tant qu’elle existe, et si sa force ne faiblit pas, y compris localement. Ne parlons même pas du retour de ces gens ainsi corrompus dans la vie civile russe…
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MONNET Alain a dit:
Bonjour Madame,
Je suis surpris que, dans un État de Droit, une loi puisse avoir un effet rétroactif.
C’est contraire à tous les systèmes législatifs, non ?
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Themis a dit:
Les lois pénales rétroactives créent de l’insécurité juridique si elles viennent incriminer des actes antérieurement non punissables. Ici, ce serait plutôt l’inverse.
La loi pénale plus douce peut, dans certaines conditions, avoir un effet sur des faits antérieurs, y compris dans les Etats de droit les plus avancés. Un effet rétroactif et un effet pour le traitement de faits antérieurs n’étant pas forcément la même chose.
Ici, cependant, comme l’indique l’auteur de l’article, cette loi pénale plus douce est un instrument qui va générer un effet d’impunité pour les criminels qui porteront un uniforme russe dans les zones de guerre. On peut deviner qu’il y aura un avant et un après, puisque même légalement et officiellement, de nombreux crimes ne seront même plus poursuivables, encore moins punissables.
Il semble d’ailleurs que la réponse ukrainienne ne se soit pas faite attendre, puisqu’ils vont interdire l’échange de prisonniers de guerre russes qui auraient commis des crimes « graves » en zone de guerre.
Cela semble raisonnable, mais en réalité, ce type de réponse effrite encore un peu plus une bonne application du droit de la guerre, en affaiblissant le statut déjà fragilisé de prisonnier de guerre, comme on l’a perçu côté russe avec les procès des défenseurs de Marioupol pour terrorisme, etc.
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Pingback: 2023 : mini-journal de guerre – août – Radio Tchernobyl
Pol DeG a dit:
Bonjour, j’ai pris connaissance de votre existence via Andre Markovitz.
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Bertrand a dit:
Merci pour cet article. J’avoue que c’est beaucoup plus agréable à lire ici que dans le fil Twitter.
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marcopolo1966 a dit:
Merci pour vos articles
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patrick henrard a dit:
Prigojine a été éliminé d’un peu plus haut qu’une banale chute par la fenêtre, mais le résultat plus spectaculaitre est sans doute due à la notoriété de notre assassin mercenaire. Il méritait une chute plus longue.
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