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Je n’ai pas fait immédiatement de commentaires sur le crash de l’avion qui transportait les principaux responsables du groupe Wagner. Nous sommes certainement en présence d’un événement qui marque, mais du point de vue du fonctionnement du régime politique, il ne me semble pas constituer une rupture.
La disparition de Prigojine m’amène toutefois à attirer l’attention sur certains points de vigilance que j’ai pu évoquer dans des entretiens publiés ces jours-ci dans Le Figaro , dans Sud Ouest et dans La Libre Belgique, et que je développe un peu ici.
En premier lieu, la logique de dilution du monopole de la violence légitime en Russie que j’évoquais dans cette tribune ne s’arrête pas avec le trait final tiré sur Wagner. L’autorisation de création d’armées régionales que j’ai tenté d’analyser dans cette note il y a un mois n’a pas encore eu d’effets visibles sur le terrain, mais on n’assiste certainement pas à un recentrage du pouvoir et de ses corps armés. Cette question-là est à suivre, car elle a une grande importance (et me permettra par ailleurs d’illustrer une séance de cours d’introduction à la science politique sur la bonne vieille définition wébérienne de l’Etat).
Deuxièmement, la disparition de Prigojine, tout comme le limogeage du général Popov cet été privent le Kremlin d’un feedback et de voix critiques provenant du camp de ceux qui clament être fidèles au régime. Là aussi, nous sommes dans une continuité. L’extermination progressive des médias libres, des ONG et des instituts de sondages indépendants, mais aussi la manipulation des élections et même du recensement de la population de 2021, ont un effet secondaire redoutable: l’aveuglement du pouvoir à qui rien ni personne ne peut faire remonter les problèmes et les défaillances. C’est ce qu’on appelle l’incertitude informationnelle des régimes autoritaires, et nous en avons vu les effets au moment du déclenchement de l’attaque sur l’Ukraine.
Prigojine était un poil à gratter pour l’institution militaire. S’il a été utilisé pendant un temps pour maintenir les forces armées dans une certaine tension, la violence de la critique a été en définitive insoutenable pour le système militaire et politique. La fin de Prigojine va participer à rendre le pouvoir encore plus ignorant de ce qui se passe en bas, et encore moins efficace.
Enfin, s’il s’agit d’un assassinat, on peut avoir une double lecture de l’usage du meurtre plutôt que d’un emprisonnement et d’un procès (qui ont par exemple été choisis pour un autre personnage trouble de la mouvance pro-guerre, Igor Strelkov). D’une part, l’assassinat a une portée symbolique et marque les esprits. Le pouvoir recourt actuellement en abondance aux marquages symboliques: le décret obligeant les combattants des bataillons volontaires et autres forces paramilitaires à prêter serment de loyauté est de cet ordre-là. En effet, le serment militaire est une promesse et seulement une promesse: n’a en droit russe aucune portée juridique et sa violation n’entraîne aucune sanction légale. Je suis d’ailleurs curieuse d’entendre les anthropologues sur la pensée magique qui sous-tend ce décret.
Mais le choix de l’assassinat plutôt que de la justice peut aussi poser une autre question. Et pour cette dernière question, j’enlève ma casquette de politiste pour devenir une commentatrice lambda que la curiosité démange. Pourquoi était-il insupportable pour le Kremlin de passer par la voie légale, pourtant efficace sur d’autres acteurs, pour éliminer Prigojine? Est-ce l’idée qu’un personnage issu du milieu carcéral, familier de ce milieu, ne serait pas forcément très bien gardé derrière les barreaux? Ou est-ce la confiance que le pouvoir a dans ses propres forces de maintien de l’ordre et de leur loyauté qui pose forcément question depuis que bien des acteurs armés se sont terrés dans leur coin au moment de la mutinerie de Wagner?
Herr Elle a dit:
Bonjour, et merci.
Des échos que j’ai pu avoir à droite et à gauche, il y avait urgence de donner des gages au président centrafricain, qui ne savait pas sur quel pied danser entre Wagner et les petits nouveaux dépendants de Shoigu. Plus de Prigojine, plus de doute, Wagner est en voie rapide de dissolution.
Girkin/Strelkov ne présente pas la même urgence. Ses « troupes » sont nombreuses, mais peu mobilisées, et ne gênent pas les actions du kremlin.
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zypic007 a dit:
Merci beaucoup pour tout votre travail d’explication et pour l’expertise que vous nous mettez à disposition. J’écris rarement mais je vous suis toujours avec beaucoup d’intérêt et je vois bien toute l’énergie que vous devez déployer pour produire ces articles avec le travail d’information, de décryptage et d’analyse et le peu de de retour que vous devez en avoir.
Bien à vous.
Yves
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Gaël a dit:
Assassiner (si assassinat) Prigojine plutôt que le juger ?
Sans doute un message à destination d’autres capos qui pourraient avoir des rêves de grandeurs, un peu comme une tête de cheval dans le lit au réveil.
Mafieux avec des méthodes de mafieux.
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Thierry Hatt a dit:
Merci pour le temps que vous prenez à expliquer les choses avec votre expertise. Vous dites que le serment n’a pas de valeur légale, mais en Russie actuellement quelle est la valeur légale de la justice ?
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Christian Dehais a dit:
Merci pour cet article !
Concernant le choix de la méthode d’élimination, je suggérerais à « la commentatrice lambda » quelques pistes : Prigojine avait peut-être quelque « kompromat » sur Poutine ou des proches; la mort violente de leur chef parle peut-être plus qu’un procès aux miliciens de Wagner qui pourraient être tentés de défendre leur organisation; le besoin de vengeance de Poutine ne pouvait être assouvi que de cette manière à ses yeux (j’ai vu une interview de Poutine dans laquelle un journaliste lui demandait en substance ce qu’il pouvait pardonner. La réponse a été : « Je peux tout pardonner… sauf la trahison. »)
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alerteaugaz a dit:
Merci pour ce commentaire éclairant. Le régime, en effet, se coupe de ses capteurs de terrain. Mortel tropisme.
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Nana a dit:
Vivant, Prigojine restait un obstacle et Wagner une force. Trop dangereux. Et puis, faire exploser un avion en plein vol, c’est une façon très spectaculaire de punir le Traitre à son Tsar. Girkin/Strelkov, lui, n’est que menu fretin – et n’a jamais été un proche de Poutine. Il critique depuis des années, sans conséquence. La mort de Prigo et Utkin signe la fin de Wagner, qui n’a plus ni chefs ni moyens et se délite. D’une pierre quantité de coups
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Lucas a dit:
Tout comme en cours de sociologie des médias, vos analyses sont toujours claires et littéralement illustrées. Merci !
En passant, je me posais une question : Poutine est-il vraiment à l’initiative de cet assassinat ? Pourrait-on suggérer que le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, rival de Prigojine, ait avisé le maître du Kremlin ?
En vous souhaitant une bonne rentrée.
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vivelerct a dit:
et pourquoi, Prigojine,, s’il se savait menacé, est-il resté à portée de fusil en Russie ?
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Céline a dit:
Sur la dernière question, la réponse est peut-être que Prigojine en savait tout simplement trop et Poutine voulait éviter un procès public et des révélations gênantes.
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